Détente, inspiration et petite claque
Voilà un moment que je me dis que je dois vous raconter ce qui m’est arrivé un lundi soir, il y a maintenant 2 semaines.
Après avoir farmé de l’héroïque avec certains d’entre vous, on se quitte satisfait du devoir accompli, se congratulant chaleureusement dans le respect des règles de l’art et je quitte pour rejoindre les bras de mon copain Morphée.
Là je constate avec stupeur que l’ai oublié le bouquin que je suis en train de lire à Paris et que je ne pourrais pas le récupérer avant vendredi. DRAME ! En fouillant un peu dans le tas de bouquins déjà lus qui jonchent le sol au pied de mon lit, je tombe sur « Mirroirs et fumée » de Neil GAIMAN (Neverwhere, American Gods, De Bons Présages en partenariat avec Môssieur Terry Pratchett). C’est un excellent recueil de nouvelles fantastiques, avec de très bonnes inspirations JDR. C’est d’ailleurs une nouvelle lovecraftienne qui me fait pisser de rire que je cherche immédiatement. Elle s’appelle « La Spéciale des Shoggoths à l’ancienne » et raconte les déboires d’un malheureux randonneur qui atterrit dans un pub à Innsmouth où là, 2 Profonds particulièrement éméchés lui parle de la vie comme savent si bien le faire les gens éméchés (pour les non rôlistes, HP Lovecraft a créé un univers repris dans le jeu de rôle L’Appel de Cthulu, dont GAIMAN s’inspire).
La nouvelle est assez courte, et je ne suis pas assez fatigué et décide de poursuivre en en lisant une dernière. Je tourne la page… et je prends une claque en lisant ceci :
VIRUS
Il était un jeu vidéo. On me l’avait donné,
un ami me l’avait donné, il y jouait,
il m’a dit : c’est super, tu devrais y jouer.
J’y ai joué : c’était vrai.
Je l’ai copié à partir de la disquette qu’il m’avait donnée,
pour tout le monde. Je voulais que chacun puisse y jouer.
Tous devrait connaître ce plaisir.
Je l’ai téléchargé sur des sites
mais surtout je l’ai passé à tous mes amis.
(Par contact personnel. Comme je l’avais eu.)
Mes amis étaient comme moi : certains avaient peur des virus,
on vous donne une disquette, et une semaine après, ou un vendredi 13,
elle reformate votre disque dur, corrompt votre mémoire.
Mais pas celui-ci. Il était complètement inoffensif.
Même mes amis qui n’aimaient pas les ordinateurs s’y sont mis :
Plus on devient fort, plus le jeu est dur ;
On ne gagne jamais, mais on devient très fort.
Je suis très fort.
Bien sûr je passe beaucoup de temps à y jouer.
Mes amis aussi. Et leurs amis.
Et même les gens dans la rue, on les voit,
longeant à pied de vieilles autoroutes
ou faisant la file loin de l’ordinateur,
ou des arcades rapidement surgies,
ils y jouent dans leur tête en attendant,
combinant les formes,
étudiant les contours, posant les couleurs côte à côte,
déviant des signaux vers d’autres zones de l’écran,
écoutant la musique.
C’est sûr, les gens y pensent, mais surtout ils y jouent.
Mon record est de dix-huit heures d’affilée.
Quarante mille douze points et 3 fanfares.
On joue malgré les larmes, les crampes au poignet, la faim ; au bout d’un moment
tout cela disparaît.
Tout cela sauf le jeu, devrais-je dire.
Je n’ai plus de place dans ma tête ; plus de place pour autre chose.
Nous avons copié le jeu, pour le donner à des amis.
Il transcende le langage, occupe notre temps ;
parfois, je crois, j’oublie des choses, désormais.
Je me demande ce qu’est devenue la télé. Cela existait avant.
Je me demande ce qui arrivera quand je n’aurais plus de conserves.
Je me demande où sont passés les gens. Et je découvre comment,
en étant assez vif, je peux placer un carré noir près d’une ligne rouge,
les inverser, les faire pivoter pour qu’ils disparaissent
dégageant le bloc de gauche
pour que monte une bulle blanche…
(Pour qu’ils disparaissent.)
Quand le courant disparaîtra pour de bon, alors
j’y jouerais dans ma tête jusqu’à ma mort.
Neil GAIMAN
Sombresoeur
qui n'a pas trouvé le sommeil pendant un moment après ça...